Sénégal : retour sur une semaine d’indépendance judiciaire

Said Koyiami

Le Sénégal est sans doute l’un des pays africains où la justice est une véritable institution indépendante des pouvoirs publics.

Déjà considérée comme un modèle de démocratie pérenne, le Sénégal possède une justice forte et intègre. Le vœu de Barack Obama sur la mise en place d’institutions fortes en Afrique semble avoir été compris par ce pays de grands intellectuels. Les derniers évènements qui ont secoué le pays témoignent de cette réputation. Loin d’avoir été motivées par la pression populaire, les décisions prises apparaissent davantage comme l’expression du droit.

La libération des activistes Kemi Seba et Assane Diouf ces derniers jours montrent la vigueur d’une justice autonome. Ces militants semblaient voués à une condamnation sévère quand le coup de théâtre s’opéra. Celui-ci a sonné comme un désaveu du pouvoir en place, plus encore comme la victoire du peuple sur le pouvoir.

Le cas problématique de Kemi Seba

L’activiste franco-béninois avait été arrêté à Dakar le jeudi 24 août dernier pour avoir brûlé en public un billet de 5.000 Franc CFA. Cet acte exprimait le boycott d’une monnaie qui serait un outil de domination. Certaines personnes avaient applaudi et partagé la vidéo en soutien au combat de l’activiste. Cependant cet acte est un délit puni par les lois sénégalaises. C’est évidemment que Kemi Seba a été arrêté à son domicile et conduit en détention comme certains de ses proches collaborateurs. Après son arrestation la jeunesse s’est mobilisée pour sa libération particulièrement sur les réseaux sociaux. FreeKemiSeba, voilà le hastag qui circulait sur Facebook et Twitter. Des rassemblements avaient même été organisés au Benin, au Burkina Faso et au Sénégal en protestation de son arrestation. Le mardi 29 août le fondateur d’Urgences Panafricaines a été présenté devant le Tribunal de Dakar. Cette juridiction s’est prononcée en faveur de son acquittement au grand soulagement de ses soutiens.

Assane Diouf s’en sort à bon compte

Assane Diouf reconnu pour être l’insulteur public du Président sénégalais Macky Sall a été libéré sans procès le mercredi 30 août. L’homme s’est fait remarquer sur les réseaux sociaux par ses discours très critiques envers Dakar. Arrêté la semaine dernière pour séjour illégale aux Etats Unis, il avait été par la suite rapatrié sur ses terres d’origines. Là l’y attendait un pouvoir qui ne réclamait que sa tête. Pourtant, contre toute attente, l’activiste a été relaxé le mercredi soir, sans autre forme de procès. Il aurait été libéré sur ordre du Procureur de la République sans raison apparente. Finalement le tourbillon que l’on prédisait a fini par être une tempête dans un verre. Certains interprètent ce geste comme l’expression d’une justice impartiale. Celle-ci n’aurait pas vu de raison de juger Assane Ouattara. Par contre d’autres empruntent la thèse de l’apaisement du front social.

Comment comprendre ces libérations tous azimuts

Si certains voient dans ces acquittements l’expression d’une justice indépendante, d’autres estiment qu’ils ont été motivés. Selon eux, le pouvoir de Macky Sall chercherait à faire tomber la tension sociale. En effet, l’arrestation de nombreux activistes ces temps-ci aurait mis en ébullition la société sénégalaise. Pour apaiser les populations, le gouvernement aurait décidé de relaxer les inculpés comme Amy Collé, Assane Diouf ou encore Semi Keba. Leurs dossiers devenaient brulants et il ne fallait surtout pas se mettre à dos une société civile très forte. L’on se souvient encore du puissant mouvement « Y’en a marre » qui ébranla tout le pays.
Quelles que soient les interprétations que l’on donne des libérations en chaine au Sénégal, l’on peut se satisfaire des tensions qu’elles ont contribué à baisser. Néanmoins l’on peut à juste titre s’inquiéter de la politique de Macky Sall dans un pays où démocratie et liberté d’expression sont des mots chers. Le gouvernement gagnerait à temporiser la situation s’il veut éviter l’agacement de la population. Le point positif de tous ces évènements c’est l’indépendance manifeste de la justice sénégalaise. Cette justice avait déjà donné l’exemple avec le procès historique de l’ex président tchadien Hissein Habré.

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