Sanctions des médias des journaux camerounais

Amani Georges

Les lourdes et controversées sanctions, infligées mardi dernier aux médias par le Conseil national de la communication (CNC), mais aussi la crise socio-politique qui embrase les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sont les principales préoccupations des journaux camerounais parus jeudi.

«Le CNC est-il en crise ?», s’interroge en couverture le quotidien à capitaux privés Mutations qui révèle que pas moins de 4 membres, et donc la moitié des juges de l’instance de régulation, n’ont pas voté les dernières décisions suspendant ou radiant de la profession plusieurs médias et journalistes.

Peter Essoka, le président de ladite instance, «a été manipulé», renchérit Emergence, une des publications visées par les 24 cas de régulation prononcés.

Le président du groupe l’Anecdote, Jean Pierre Amougou Belinga, qui lui aussi fait partie des organes de presse sous le coup desdites sanctions, marque son étonnement dans Le Jour : ni son média ni ses collaborateurs n’ont été préalablement entendus sur les faits qui leur étaient reprochés.

Invoquant un «acharnement», il rappelle que le même CNC avait déjà eu à prendre les mêmes mesures à la fois contre son entreprise et ses journalistes, mais que ces dispositions avaient été annulées par le tribunal de céans face «à cette mafia».

Particulièrement remonté contre ce qu’il qualifie lui aussi d’«autoritarisme» et de «dérives» de l’organe de régulation, le bihebdomadaire La Météo y perçoit comme les préparatifs d’une «implosion sociale préméditée».

«Tout se passe ici comme si les accusés étaient d’office condamnés avant même d’avoir produit leurs arguments, le reste n’étant que mise en scène pernicieuse et liberticide», analyse la publication qui voit, derrière les accusateurs dont le CNC est devenu «le bras armé», une élite dirigeante et arrogante, «des personnalités dont la gestion de la chose publique a régulièrement été mise en cause ces derniers mois».

«Au plan économique et social, les sanctions du CNC sont d’une rare gravité. Dans un environnement marqué par la précarité, les médias à capitaux privés sont le véritable parent pauvre du secteur au Cameroun. Fonctionnant avec le système D, ils doivent en plus, désormais, faire face à un ennemi de l’intérieur. Les ‘’sages’’ du CNC s’imaginent-ils seulement les conséquences de la suspension ou – plus grave – de l’interdiction d’un média ?»

Le même journal, qui s’est déporté sur le front des émeutes dans les régions anglophones, s’étonne de la dernière sortie du Front social démocratique (SDF, opposition) appelant au retour du Cameroun au fédéralisme ainsi que de l’irruption sur scène d’un certain Ekelenge Martin, dans la posture de leader d’une branche armée de la cause sécessionniste, «des signaux qui illuminent une étape qui se veut l’antichambre de l’insurrection armée».

Le Cameroun se trouve ainsi menacé dans les fondements de son Etat, constate La Météo qui se demande si on devrait «ré»ouvrir un débat sur la forme de l’Etat alors que le «large débat», tenu en 1991, était arrivé à des conclusions ayant accouché de la réforme constitutionnelle de 1996 dans laquelle la forme de l’Etat était un élément déterminant.

«Les Camerounais avaient opté en faveur d’une forme décentralisée de l’Etat du Cameroun avec dix régions. Le rejet d’un Etat fédéral sur une base référentielle linguistique est donc sans appel.»

Pour Baromètre communautaire, la multiplication des manifestations dans les régions du Nord-Ouest et le Sud-Ouest relance le débat sur la pertinence du choix et des modalités de l’unification-réunification alors que, dans sa «Vision 2035», le gouvernement reconnaît lui-même que le renforcement de l’unité nationale constitue l’un des principaux défis à relever en vue de l’émergence.

En 1916, rappelle cet hebdomadaire, à l’issue de la défaite allemande face aux forces franco-britanniques engagées dans la première Guerre mondiale, les populations du Cameroun ont été arbitrairement réparties dans deux entités administrées par la France et la Grande Bretagne.

Plus de 50 ans plus tard, sans pression ni contrainte, les deux entités, une fois débarrassées de leur tutelle respectives, conviennent d’unir à nouveau leur destin, se souvient ce journal qui se demande si, avec le recul, on peut dire qu’il s’est agi d’un marché de dupes.

Source : FCEB/cat/APA

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