Depuis lors, l’ancien fonctionnaire du Fonds Monétaire International (FMI), n’aura plus aucun répit dans sa vie. Alassane Ouattara d’abord accueilli en sauveur d’une économie en berne, il deviendra ensuite l’homme qu’il fallait tenir loin de la conquête du pouvoir d’Etat. En cause, sa nationalité jugée douteuse par les pouvoirs successifs après la mort du père fondateur de la nation, le Président Félix Houphouët Boigny précédent le mandat présidentielle de Henri Konan Bédié. Dès lors il cristallisera toutes les passions et le pays sombre peu à peu dans une crise identitaire. Il incarnera par la même occasion les malheurs d’une large frange de la population qui se sentait exclue : les nordistes. C’est dans ce contexte que survint la rébellion de 2002. En 2010, soutenu par la coalition de l’opposition (RHDP), il devient le nouveau chef de l’Etat à la suite d’une élection très contestée.
Une fois au pouvoir, il essaie de supprimer l’injustice dont les nordistes se sentaient victimes. Dans la foulée, la Côte d’Ivoire reprend sa place dans les relations internationales. La croissance économique atteint les deux chiffres et le gouvernement table sur l’émergence à l’horizon 2020. De grands travaux de développement sont mis en œuvre à la satisfaction des bailleurs de fonds. Bien que le pays semble s’être remis sur les rails du développement, le climat socio-économique est encore morose. Les populations disent ne pas sentir les retombées de la croissance économique dans leur panier du marché. De son côté l’opposition se sent molestée par le pouvoir et réclame plus de justice. A quelques mois de la fin de son mandat, ces couacs constituent les principaux défis qui lui restent à révéler. Voyons maintenant, un peu plus en détails, le parcours atypique de cet ancien cadre du FMI.
Sommaire :
Origine et vie familiale
Carrière d’économiste
Ses premiers pas en politique
De la question de la rébellion
L’élection à la présidence
La gestion du pouvoir d’Etat
La question de sa succession
Origine et vie familiale
Alassane Dramane Ouattara est né le 1er janvier 1942 à Dimbokro, une ville située au centre-est du pays. Son père, Alassane Ouattara, est enseignant et commerçant prospère et sa mère Hadja Nabintou Ouattara (née Cissé), une ménagère. Par son père, il est le descendant de l’empereur Sékou Oumar Ouattara (1665 – 1745), premier roi de la dynastie des Ouattara de l’empire Kong, autrefois à cheval sur les actuels Mali, Ghana, Burkina Faso et Côte d’Ivoire. A ce jour l’on a peu d’informations sur son parcours scolaire et universitaire. Pourtant certains de ces détracteurs affirment qu’il a fait son parcours scolaire au Burkina Faso et que c’est en qualité d’étudiant Burkinabé qu’il ira poursuivre ses études aux Etats Unis. Ce pan de son histoire sera, pour beaucoup, à l’origine de ses déboires lorsqu’il décidera d’entrer en politique. Ce que l’on sait en revanche c’est qu’il a fait des études dans une prestigieuse université américaine celle de Pennsylvanie où il obtiendra un doctorat d’Etat en sciences économiques. Après la fac, il ira faire ses preuves au Fonds Monétaire International (FMI) dont il deviendra quelques années plus tard le Directeur Général Adjoint. Pendant son séjour aux Etats Unis il fait la connaissance d’une américaine du nom de Barbara Jean Davis avec laquelle il se mariera et aura deux enfants. Mais il divorcera d’avec elle, quelques années après, pour épouser le 24 août 1991 à la Mairie du XVe arrondissement de Paris, Dominique Nouvian. Le mariage a été officié en présence de certaines personnalités françaises de premier rang dont Nicolas Sarkozy, Jean-Christophe Mitterrand et Martin Bouygues. Il fit la rencontre de Dominique Nouvian, actuelle première Dame de Côte d’Ivoire, à Dakar alors qu’il occupait, à la BCEAO, la fonction de vice-gouverneur. Dominique Nouvian gérait alors les propriétés immobilières du président ivoirien Felix Houphouët Boigny et de son homologue Omar Bongo au sein du groupe Aici, ainsi que les franchises Jacques Dessange aux Etats Unis. Ce mariage entre l’économiste et la femme d’affaires fut interprété comme un mariage de raison.
Carrière d’économiste
Comme déjà dit, Alassane Ouattara a étudié aux Etats, d’abord à l’Institut de Technologie de Drexel puis à l’Université de Pennsylvanie. Il y obtint en 1967 un master en économie. C’est à ce titre qu’il rentre au Fonds Monétaire Internationale (FMI) l’année suivante. Bien que devenu cadre de cette prestigieuse institution mondiale, il va poursuivre ses études et obtenir un doctorat en sciences économiques en 1972. Un an plus tard il est appelé à d’autres fonctions. C’est ainsi qu’il intègre la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Il deviendra le vice-président de cette institution de 1983 à 1984. Suite à cette expérience africaine, il retourne au FMI pour y occuper la fonction de directeur du département Afrique à partir de novembre 1984. Au fur et à mesure qu’il reçoit des nominations, son Curriculum Vitae s’étoffe et il est bientôt appelé à une plus grande responsabilité. De fait il devient en octobre 1988 le gouverneur de la BCEAO. Grâce à ce parcours dans ces institutions financières, l’homme se construira un carnet d’adresses bien fourni. Celui-ci lui sera d’une grande utilité lorsqu’il rentrera en politique. Quand survient la crise des années 1990, il est appelé en renfort par le pouvoir d’Abidjan pour redresser l’économie. Le 18 avril 1990, il débarque, avec dans ses valises les fameux PAS, pour résoudre la crise financière provoquée par la chute des cours des matières premières et par le poids de la dette extérieure. D’abord président du comité interministériel de la coordination du programme de stabilisation et de relance économique, il est nommé Premier ministre à la suite d’une modification de la constitution le 7 novembre 1990. Il mène une politique de rigueur budgétaire qui est fortement ressentie par la population dont les fonctionnaires en premier lieu. Mais le programme de stabilisation et de relance économique qu’il met en place (réduction des dépenses, élargissement de la base taxable, privatisations…) porte ses fruits car il permettra d’assainir les finances publiques et de redonner confiance aux bailleurs de fonds. Cependant, l’on ne sait trop pour quelle raison, il crée la carte de séjour pour les travailleurs étrangers. Cette carte sera plus tard à l’origine d’un sentiment de xénophobie qui n’a toujours pas tari de nos jours. De son passage à la primature de la République de Côte d’Ivoire, les Ivoiriens retiennent un homme de poing. Ils ont été obligés de se serrer la ceinture pour juguler la crise. A cette réputation d’économiste austère s’ajoutera celle d’un politicien aux méthodes dures. Cela est en grande partie dû à sa gestion des émeutes de 1990, à la suite desquelles le leader de l’opposition de l’époque, Laurent Gbagbo, a été emprisonné.
Ses premiers pas en politique
Lorsque le président Félix Houphouët Boigny meurt le 7 décembre 1993, il laisse derrière lui un pays sans héritier véritable. A l’époque son dauphin constitutionnel était Henri Konan Bédié, alors président de l’Assemblée Nationale. Il représentait ce qu’on nommera « l’héritier légitime ». Il avait pour mission d’assurer la transition jusqu’à la prochaine élection présidentielle prévue en fin d’année 1995. Le jour du décès de Félix Houphouët Boigny, Alassane Ouattara déclare à la télévision nationale que « La Côte d’Ivoire est orpheline », ce qui pose de facto le problème de la succession. Henri Konan Bédié se précipite pour se proclamer nouveau président la République de Côte d’Ivoire alors qu’Alassane Ouattara estime que l’intérim lui revient. L’on parlera de lui comme de l’héritier légitime. En effet, Alassane Ouattara avait eu le mérite d’avoir redressé l’économie du pays en plus d’avoir géré le pays tout le temps que le président fut hospitalisé à l’étranger. A partir de cet instant une lutte de succession commence avec en arrière-plan le Général Robert Guei et Laurent Gbagbo l’opposant historique. Henri Konan Bédié réussit à tirer son épingle du jeu. Il s’empare de la présidence avec l’aide des dignitaires PDCI et nomme Kablan Duncan premier ministre. Après sa déconvenue, Alassane Ouattara retourne au FMI où il devient directeur général adjoint en 1994. En décembre 1994, l’Assemblée Nationale vote une nouvelle loi qui stipule que nul ne peut être élu Président de la République de Côte d’Ivoire « s’il n’est ivoirien de naissance, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens de naissance ». C’est le début du conflit identitaire qui aboutira à la rébellion de 2002.
De la question de la rébellion
La nouvelle disposition de la constitution ivoirienne est vue par les militants du RDR (Rassemblement Démocratique des Républicains, parti dissident du PDCI) comme un moyen d’exclure Alassane Ouattara de la politique ivoirienne. Partant, cette loi avait été mal apprécier par tous les binationaux en particulier ceux dont l’un des parents est issu de la sous-région. De fait, en 1999, Alassane Ouattara quitte définitivement ses fonctions au FMI pour se consacrer entièrement à la politique. A la suite de la mort de Djeni Kobinan président fondateur du RDR, il est élu, à l’unanimité, nouveau président de ce parti en juillet 1999. Cette même année un coup d’Etat dépose en décembre le président Henri Konan Bédié. Guei Robert, le Général putschiste invalide la candidature d’Alassane Ouattara à l’élection présidentielle de 2000 tout comme celle d’Henri Konan Bédié. Il se présente contre l’opposant historique, Laurent Gbagbo, qui parvient à le battre à son propre jeu. Ce dernier réussit à s’installer au pouvoir avec l’aide de la rue comme Robert Guei voulait confisquer sa victoire, selon ses propres mots. Cette époque trouble a été marquée par l’affaire du charnier de Yopougon où 57 militants du RDR auraient été massacrés lors d’une marche contre le nouveau pouvoir de Laurent Gbagbo. Cet épisode sera en grande partie à l’origine de la rébellion de 2002. Cette dernière aurait eu pour but la défense des nordistes trop longtemps exclus de la gestion du pouvoir d’Etat. Bien qu’Alassane Ouattara n’ait jamais été formellement identifié comme le père de la rébellion (titre qu’a revendiqué Soro Guillaume), tout le monde s’accorde pour dire que ce coup de force majeur a été opéré pour son compte au regard de certains propos du commandant Zacharia Koné dans une vidéo enrégistrée aux premières heures du conflit. L’élection présidentielle de 2010 contribuera à lever un voile sur cette affaire malgré le jeu des alliances circonstancielles.
L’élection à la présidence de 2010 et la crise
En Octobre 2010, une élection de sortie de crise est organisée en Côte d’Ivoire sous la supervision des Nations Unies. A cette élection, tous les candidats devraient être éligibles. Le président d’alors, Laurent Gbagbo accepte la condition. La joute électorale est donc organisée en octobre 2010 (1er tour) et en novembre (2e tour). Celle-ci consacrera la victoire d’Alassane Ouattara au 2e tour face au président sortant Laurent Gbagbo. Mais ce dernier crie à la fraude massive et demande le recomptage des voix. L’opposition et la communauté internationale le jugent mauvais perdant et appelle à son départ sans conditions. Il s’en suit un bras de fer qui aboutira à un ballet diplomatique puis à un affrontement des forces en présence. D’une part les soldats restés fidèles à Gbagbo (FDS) épaulés de leurs mercenaires et d’autres part les forces de l’ex rébellion favorables à Ouattara appuyées par l’ONU et la France intervenue sous mandat onusien. En Avril 2011 Laurent Gbagbo est arrêté à sa résidence et Alassane accède à la magistrature suprême. Officiellement les combats de la crise post-électorale auraient fait environ 3000 morts.
La gestion du pouvoir d’Etat
Après son accession à la présidence de l’Etat de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara s’applique à faire revenir le pays au-devant de la scène internationale. Dès les premiers mois de son pouvoir, de grandes institutions comme la Banque Africaine de Développement font leur retour sur les bords de la Lagune Ebrié. Le pays se remet sur les rails du développement après plusieurs années de crise. Le pouvoir met en place d’importants projets de constructions d’infrastructures à travers son Plan National de Développement (PND). Plusieurs routes, des ponts, des barrages hydro-électriques, des universités ou encore des centre hospitaliers universitaires seront construits. La croissance est de l’ordre de 2 chiffres selon les organismes financiers internationaux. Ses gouvernements successifs ainsi que la diplomatie ivoirienne réussissent à positionner le pays à l’échelle mondial au point d’attirer l’attention de grands investisseurs comme le Roi du Maroc et celui du Qatar. Le seul hic au tableau économique c’est que la population se plaint que les retombées économiques ne profitent pas à tout le monde. Cette situation fera dire à certains qu’on « ne mange pas goudron ». Mais le chantier où le pouvoir en place a connu un fiasco certain est bien celui de la réconciliation nationale et de la question des droits de l’homme. Amnesty International et certaines ONG nationales autant qu’internationales tirent la sonnette d’alarme. Quant à l’opposition, elle accuse régulièrement le pouvoir de Ouattara de la bâillonner. Dans sa volonté d’appliquer la justice, le président est accusé de ne pas faire assez pour la réconciliation au pays. Celle-ci est étroitement liée au sort des prisonniers politiques et surtout au sort de Laurent Gbagbo et son dernier ministre de la jeunesse et des sports Blé Goudé. Malgré quelques libérations notables, l’opposition juge que ce n’est pas assez pour apaiser le cœur des Ivoiriens.
La question de sa succession
A deux ans de la présidentielle de 2020, la question de la succession de Ouattara est l’objet de toutes les attentions. Elle polarise même la société ivoirienne. Certains jugent le débat de la succession de Ouattara « malsain » (un terme du premier ministre Amadou Gon Coulibaly) tandis que d’autres estiment qu’il est d’actualité pour au moins éviter le scenario de 1993. Le président Alassane Ouattara, éprouvé par une série de mutineries cette année, a affirmé sur les antennes de France 24 qu’il se prononcera le moment venu. Bien qu’il ait laissé la présidence du RDR à Henriette Dagri Diabaté, il est soupçonné de vouloir se représenter pour un 3e mandat en 2020. Son allié au sein du RHDP, le PDCI se pose déjà comme le successeur du RDR en 2020. Il s’impatiente de voir le RDR d’Alassane Ouattara lui passer la couronne en 2020. Au nom de l’Appel de Daoukro, signé en 2015 pour permettre à Ouattara de briguer un second mandat, Henri Konan Bédié réclame la succession. Malgré les réunions de haut niveau entre lui et le chef de l’Etat pour calmer le jeu, le parti de Félix Houphouët Boigny continue de réclamer le pouvoir à la suite du RDR. De son côté, le président de l’Assemblée Nationale, Soro Guillaume souffle le chaud et le froid. Après avoir fait paraître son intention de se présenter en 2020 durant son séjour en Europe (Mars, Avril et Mai 2017), l’ex patron des Forces Nouvelles semble être rentré dans les rangs. De fait, Alassane Ouattara a eu une tête à tête avec lui dès son retour de Russie pour dissiper les mésententes. Maintenant, même s’il ne semble pas avoir renoncé à ses ambitions présidentielles, Soro ne parle plus qu’en termes de destin. Le président Alassane Ouattara sait aussi qu’une querelle de succession se déroule au sein de son parti, le RDR. Une guerre sourde opposerait le premier ministre Amadou Gon Coulibaly et le ministre de l’intérieur Ahmed Bakayoko. Pour ne pas arranger les choses, Alassane Ouattara, n’aurait pas de préférence entre tous ces « fils politiques ». Pris en sandwich entre le FPI qui veut revenir aux affaires, le PDCI qui veut retrouver le goût du pouvoir au nom d’une alliance politique, Soro Guillaume qui fourbit des intentions présidentielles et les cadres du RDR qui ne rêvent qjue de prendre sa relève, le président ne saurait plus à quels saints se vouer. Poussé vers la sortie par tous, il n’aurait pas d’autres choix que de passer le flambeau.