Magic System

Joseph Amenan

Ce groupe composé d’Asalfo, Manadja, Tino et Goudé détiendrait la clé de toutes les portes. Les quatre fantastiques du coupé décalé sont les hôtes réguliers des plus importantes personnalités du monde entier. Du palais présidentiel d’Abidjan à l’Elysée, Magic System fait des émules. Le groupe avait même presté lors de la cérémonie de célébration de la victoire d’Emmanuel Macron en mai 2017. Magic System c’est la machine qui remplit chaque année les plus grandes salles d’Afrique et d’Europe tels que le Zenith ou l’Olympia. Avec Alpha Blondy et Tiken Jah, il fait partie des artistes ivoiriens à réussir un tel exploit. En fin d’année 2017, les Magiciens ont fêté les 20 ans de leur riche carrière musicale. Dakar, Niamey, Ouagadougou, Conakry… ont vibré au rythme de leurs chansons phares. Mais que d’obstacles parcourus pour en arriver à cette reconnaissance planétaire !
L’histoire des Magic System est celle d’un long parcours de l’ombre à la lumière. Peut-être au fond d’eux-mêmes ils n’avaient jamais cru qu’ils en arriveraient à ce stade aujourd’hui. Originaires du quartier pauvre d’Anoumabo dans la commune de Marcory, les Magiciens n’ont pas eu la vie facile. Comme ils le diront plus tard, c’était la vraie galère. A l’époque le groupe était plus nombreux, et pour se donner plus de chance de réussite, les membres ont été obligés de se scinder en deux groupes majeurs. Cette façon de procéder créera plus tard des ressentiments, puisque l’autre groupe devenu les Marabouts, ne connaitra pas un succès similaire à celui de Magic System. En tout cas, c’est le moment de le dire, Asalfo et les siens viennent de loin, c’est pourquoi ils n’hésitent pas à venir en aide aux plus pauvres maintenant de leur continent. Revenons donc sur cette ascension qui a débuté avec le morceau devenu légendaire, « 1er Gaou ».

Sommaire :

Formation du groupe et premiers échecs

Le groupe Magic System est issu d’un quartier populaire nommé « Anoumabo ». Ce quartier est situé dans la commune de Marcory au sud d’Abidjan. A l’origine, ce groupe, appelé « les Magiciens » aurait compté plus de cinquante membres. Une véritable troupe dans laquelle il fallait forcement opérer des remaniements. Ils forment en ce temps une bande joyeuse aimant jouer du Wôyô au quartier, le Wôyô est une expression du zouglou, un genre musical spécifique à la Côte d’Ivoire. Cette musique zouglou est née dans les cités universitaires, dans un conteste de crises politiques. Les étudiants, soumis aux mauvaises conditions d’études et à la crise économique des années 90, ont créé un pas de danses pour implorer les cieux. Ce pas de danses a, à son tour, donné naissance au mouvement zouglou, devenu par la suite, une musique. Le collectif les « magiciens » éclatera donc très vite pour donner deux groupes majeurs menés par les deux leaders naturels. Il s’agit de Camso qui crée Les Marabouts et Asalfo qui forme Magic System. Selon certaines rumeurs, Asalfo aurait choisi les meilleurs de la troupe sauf Camso en qui il voyait un potentiel rival. Pour d’autres rumeurs, la guerre des égos entre Camso et Asalfo aurait fait que chacun voulut diriger un groupe à lui. Quoiqu’il en soit Camso a pris son chemin avec deux des « magiciens » et Asalfo avec trois autres que sont Goudé, Manadja et Tino. Dès 1996, les quatre Magiciens se produisent lors de fêtes et d’événements locaux. En 1997 ils sortent un premier album intitulé Papitou et un single « Momo ». Malheureusement aucun des deux ne produit l’effet escompté. Pis c’est un fiasco total, mais les Magiciens ne se découragent nullement de cet échec. Mieux c’est un motif de plus pour travailler avec plus d’acharnement. En ces temps, les difficultés économiques étaient-elles qu’il était difficile d’enregistrer des morceaux. Ils parviendront quand même à prendre courage et à faire un nouvel essai avec le single « 1er Gaou ».

Le succès de Magic System avec « 1er Gaou »

Le groupe Magic System n’a pas jeté l’éponge après l’échec de son premier album Papitou et du single « Momo ». Déterminé à sortir de leur ghetto d’Anoumabo à tout prix, ils récidivent avec un single qui sera mémorable. Comme le disait le vieux Menêkrê dans l’émission « Coq à l’âne » de John Jay sur les antennes de la RTI, « Personne ne connaît le jour de son jour ». En effet, jusqu’aujourd’hui le groupe n’aurait toujours pas réalisé le succès de ce morceau. Après l’échec des premiers essais donc, ils rentrent à nouveau au labo et sortent deux ans plus tard, c’est-à-dire en 1999, le fameux tube « 1er Gaou ». Le morceau touche les Ivoiriens car il met en lumière un comportement très connu en Côte d’Ivoire. Il s’agit de certaines filles adeptes de la belle vie et qui s’en vont dès que l’argent est fini. Il est bien accueilli par les compatriotes au point d’attirer l’attention des plus grands producteurs du pays. Le premier à sentir la bonne affaire est Ephrem Youkpo alors journaliste et animateur radio et télé. En complicité avec Tony Adams, un producteur de renom en Côte d’Ivoire, Ephrem Youkpo décide de vulgariser le morceau à l’étranger notamment en France. L’animateur parcourt donc l’Hexagone pour rencontrer les dirigeants des grandes maisons de disques. Malheureusement il n’arrive pas à convaincre ces majors et maisons de disques, de propulser le groupe. Ces derniers ne sont pas enchantés par le morceau, sans doute parce qu’ils ne voulaient pas prendre le risque avec une telle aventure. Ephrem Youkpo n’a plus le choix que de confier la distribution et la promotion du morceau à une autre maison, moins bien côté, la Sonima. A la suite de cela, le groupe fut invité à faire la première partie de Bisso Na Bisso, un collectif de rappeurs congolais emmenés par Passy. Le Bisso Na Bisso avait une grande renommée en cette période. Avec cette petite fenêtre sur le monde, Magic System sort un autre album qui s’intitule Poisson d’avril en 2001. L’accueil de ce dernier est mitigé en Côte d’Ivoire. Fort heureusement une collaboration va définitivement les propulser dans le monde entier. En effet, en 2002, ils réussissent à obtenir le remix de « 1er Gaou » avec le célèbre DJ français Bob Sinclar. Cette collaboration les révèle au public français. C’est le début d’une ascension fulgurante qui les mènera dans les sommets de la musique internationale. Dès lors ils enchaineront succès sur succès et prix sur prix.

L’ascension sans limite au sommet du monde

Après le remix réussi de « 1er Gaou » avec Bob Sinclar, Magic System en profite pour élargir la brèche ouverte. Pour répondre aux exigences acoustiques de son nouveau public interplanétaire, le groupe décide de donner une couche internationale à sa musique. Leur zouglou de première heure se verra édulcorée avec des sonorités hexagonales, notamment la techno et la pop. Déjà, sur le remix de « 1er Gaou » une telle entreprise avait été tentée. En 2003, sort l’album « Un Gaou à Paris » un titre éponyme et évocateur. Le groupe commence à s’installer dans le top des tops en France et s’éloigne peu à peu des rythmes d’origine du zouglou. En 2005 Magic System fait paraitre l’album « Petit Pompier » qui recueillera un franc succès au pays natal. Le concept est original et drôle à la fois. C’est par exemple de ce morceau que naitra le terme de « Taper dos ». Cette expression qualifie un homme qui affectionne des aventures amoureuses avec les compagnes de ses meilleurs amis. A la suite de cet album, il y aura bien d’autres, qui contribuent à asseoir la notoriété planétaire de Magic System. Ce sont Cessa Kiè la vérité (pour « C’est cela la vérité ») en 2005, Ki Dit Mié (pour « qui dit mieux ») en 2007, Zouglou Dance en 2008 ou encore Toutè Kalé (Tout est calé) en 2011 qui reçut un disque de platine. Quant à l’album Ki Dit Mié il a récolté le disque d’or, consécration suprême. En 2012 et en 2013 les Magiciens auront deux autres disques d’or avec les albums D’Abidjan à Paris et Africainement vôtre. Magic System devient, dès lors, l’un des groupes de musique de Côte d’Ivoire et même d’Afrique les plus rentables. Ils parcourent les scènes du monde entier, remplissent les grandes salles, reçoivent des honneurs et des récompenses un peu partout. En 2015 ils enregistrent l’album Radio Afrika qui finira 25e meilleures ventes de France. Cette année 2017 Asalfo, Tino, Goudé et Manadja mettent sur le marché discographique Ya Foye (Il n’y a pas de problème), le dernier album en date du groupe. Dans le morceau éponyme où il parle de la joie de vivre et de la nécessité de s’aimer, l’on peut bien voir combien le groupe a muri dans la solidarité et le travail acharné. Aujourd’hui Magic System est une référence pour les jeunes Africains. Leur succès est le fruit de l’union sacrée qu’ils ont réussi à maintenir jusqu’ici contre vents et marées.

De la contestation de la suprématie d’Asalfo

Derrière le succès de Magic System il y a avant tout l’union du groupe. Tandis que de nombreux groupes éclatent tout bonnement, les Magic System demeurent aussi unis qu’aux premiers jours de la création de leur groupe. Néanmoins il y a eu des vents de division qui auraient pu emporter le groupe. En 2008, un premier coup de froid a gelé les relations au sein du groupe et avec leur manager et ami d’enfance Angelo Kabila. Ce dernier a eu un différend avec Asalfo qui a décidé de ne plus le saluer ni lui adresser la parole. Cette décision n’a pas beaucoup plu aux autres membres qui aimaient beaucoup le manager et producteur. Asalfo aurait pris la décision de se séparer de leur producteur sans leur en donner les raisons. C’était comme une décision unilatérale de sa part. Même si les choses sont vite rentrées dans l’ordre, les rumeurs ont voulu qu’il en soit autrement. L’on annonçait que l’union du groupe était en mal et bien d’autres choses encore. « On ne sera jamais divisé. » avait déclaré Manadja avant de poursuivre avec quelques révélations :

« Au lieu que des gens tiennent des propos déplacés dans la presse, moi j’aurais voulu les voir faire asseoir tout le monde pour régler le problème. Mais au lieu de cela ils mettent de l’huile sur le feu […] Que les gens aient pitié de nous. Nous nous sommes battus pendant des années pour qu’on parle du zouglou, de la musique ivoirienne sans avoir honte. J’ai des larmes aux yeux quand j’en parle parce que nous étions comme des enfants qu’on avait jetés à la rue. ».

Par la suite, l’on raconta que les membres du groupe voulaient aller tous en carrière solo à cause du comportement du lead vocal. Manadja, Tino, Goudé ont reproché à Asalfo de prendre des décisions sans les consulter. Ils auraient préféré que toute décision soit prise en concertation. Bien vite l’affaire se règlera fort heureusement entre les membres du groupe et entre ces derniers et leur producteur. Une autre histoire est survenue quelques années plus tard, cette fois plus financière. Asalfo, gérerait les finances du groupe de telle sorte que lui seul en bénéficiait vraiment. Selon les informations recueillies dans la presse, le nouveau coach vocal de The Voice Afrique Francophone prendrait la plus grosse part des revenus du groupe. Cette attitude aurait révolté les trois autres Magiciens. Le spectre de la division s’était à nouveau pointé et l’on ne parlait plus que de séparation imminente. Mais encore une fois rien ne se produira comme prédit. Les membres s’entendront bien vite et feront taire les rumeurs qui sont, quelque part, toujours fondées. En plus de ces tentatives d’implosions, Magic System devra aussi faire face à certaines critiques et accusations, parfois très dures.

Les polémiques autour de Magic System

Après le succès phénoménal de leur « 1er Gaou » les Magiciens avaient quitté le pays pour s’installer en Hexagone. Là-bas, confrontés à d’autres réalités, ils ont été emmenés à changer leur style de musique ou au moins à l’adapter, quitte à écorcher le Zouglou national. C’est ainsi que leur Zouglou se fera plus techno, plus pop voire plus électro. Cette caractéristique leur attirera bien de critiques au pays. Certains Ivoiriens, très attachés à leur zouglou originel, ont commencé à bouder leur musique et à dire qu’ils ne font pas du zouglou. Emboitant le pas au public des artistes Zouglou ont affirmé que leurs collègues avaient dénaturé le Zouglou original. Fort heureusement ces récriminations ne prospéreront pas comme dans certains genres tels que le coupé décalé où la guerre entre artistes est la règle. Prenant pour exemple le Zouglou, Arafat DJ avait déclaré que les artistes coupé décalé n’étaient pas aussi solidaires que leurs collègues du Zouglou. La séparation au sein du collectif les « Magiciens » refera ensuite surface. Camso des Marabouts avait traité Asalfo et ses amis d’ingrats et de méchants. Les Magiciens auraient oublié leurs amis de galère maintenant qu’ils mènent une belle vie. Comme Camso, d’autres artistes avaient commencé à dire que les Magiciens ne faisaient rien pour leurs collègues restés au pays. Ils seraient égoïstes et ne voudraient qu’être les seuls zougloumen qui ont « percé » (réussi). Jusqu’ici ce ne sont que des récriminations, mais une autre affaire viendra vraiment plomber le groupe. Il s’agit de la mort du célèbre chanteur congolais Papa Wemba, le 24 avril 2016 sur le podium du FEMUA à Anoumabo. Le FEMUA est le Festival des Musiques Urbaines d’Anoumabo, crée par les Magic System en 2007. Papa Wemba est mort sur la scène dans la nuit du 23 au 24 avril 2017. La polémique est partie d’une vidéo publiée sur les réseaux sociaux. Celle-ci montrait les derniers instants de l’artiste congolais. Alors qu’il prestait gaiement, il s’est écroulé subitement. Ses danseuses et des membres du comité d’organisation ont alors accouru à son chevet pour voir ce qui se passait. Dans ce décor de consternation, un individu, présenté plus tard comme un agent de la société de sonorisation, était venu soulever le micro central et avait disparu avec au lieu de porter assistance à personne en danger. Les Congolais ont vite fait de dire qu’il avait cherché à retirer très vite le micro parce que ce dernier était empoisonné. L’on ne comprendrait pas pourquoi il s’occupait d’un micro alors qu’un homme mourait. Certaines personnes ont avancé le coût du micro qu’on devait mettre absolument à l’abri, mais les détracteurs ont rejeté l’argument. L’accusation la plus sérieuse portait sur le manque de personnel médical dans un festival d’une telle envergure. Dans un cas comme dans l’autre, Asalfo serait le fautif, il porterait la responsabilité de la mort de la légende Wemba. L’on estime qu’avec des soins au premier moment de la crise, il aurait pu avoir la vie sauve. Pendant des mois encore une guerre opposera les Congolais aux Ivoiriens, les premiers accusant Asalfo d’avoir sacrifié leur « papa » et les autres prenant la défense de leur frère.

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