Debordeau Leekunfa

by Laurence Guédé

Vers la fin des années 2000, il a enflammé la jeunesse ivoirienne quand il composait un duo inégalable avec Arafat DJ. Ensemble, les deux artistes ont redonné des couleurs au coupé décalé qui semblait traverser une période d’hésitation après la disparition de son fondateur, Douk Saga. Celui qu’on appellera « Tchokoroba » avait alors parcouru l’Afrique à la demande des fans et des organisateurs de spectacles. Après la première décennie de 2000, Debordeau Leekunfa prend sa voie, quoique timidement. Son point fort a été, sans nul doute, de plafonner dans les hits parade à chaque fois qu’il faisait paraître un morceau. Fort de ses performances, il est classé aujourd’hui parmi les artistes coupé décalé les plus influents de sa génération. De plus, avec DJ Mix, il est reconnu comme la meilleure voix du genre.
C’est aussi un artiste réputé pour ses clashs à n’en point finir. Depuis environ une décennie, Debordeau Leekunfa et DJ Arafat entretient une farouche adversité alors que, il n’y a pas si longtemps il était son ancien coéquipier Arafat DJ. Cette rivalité tombera souvent dans de telles bassesses que l’on se demandera, à un moment donné, si ce n’était pas un jeu. Quotidiennement, les deux stars offrent aux internautes des querelles parfois très mesquines. Malgré le temps, leur animosité ne s’est pas diluée comme si elle avait une origine plus profonde. En tout cas les deux rivaux éternels partagent un point commun : une enfance difficile à Yopougon, quartier populaire d’Abidjan. En regardant un peu en arrière, rien ne présageait que le Wiz Agara connaitrait la vie qu’il mène actuellement.

 

Sommaire :

Le début de carrière de Tchokoroba
Le célèbre duo avec Arafat DJ
La carrière solo de Debordeau
Les couacs et les critiques
Ses altercations avec les autres artistes

Enfance difficile et rêve de footballeur

Debordo Leekunfa est né le 20 décembre 1984 à Abidjan en Côte d’Ivoire sous le nom de Patrick Tanguy Sery Digbeu. Ce chanteur, disc-joker, auteur-compositeur et interprète ivoirien a grandi à Koumassi, une commune de la ville d’Abidjan. Il fera son enfance et son adolescence dans ce quartier aux côtés de sa grand-mère dans des conditions difficiles. Adolescent, il fréquentera le Collège Voltaire de Marcory, une commune voisine de Koumassi. Bien qu’inscrit dans cet établissement, le jeune Sery Tanguy n’a pas la tête aux études. Il avait d’autres projets comme celui de devenir grand footballeur. C’est ainsi qu’il pratique l’école buissonnière et passe son temps à trainer dans la rue. De fil en aiguille, l’élève Sery Patrick Digbeu finit par abandonner l’école au grand désarroi de ses parents. Désormais hors du circuit scolaire, Sery Digbeu Patrick sera livré à lui-même et fréquentera des milieux peu recommandables. De fait, il côtoiera des drogués et s’adonnera au banditisme malgré les conseils de sa grand-mère qui s’occupait de son éducation. A propos de cet épisode peu glorieux de sa vie, Tanguy Sery Patrick confiera plus tard ceci :

« Mon dernier coup c’était une nuit. J’ai agressé un monsieur à qui j’ai soutiré argent et portable cellulaire. ».

A la lecture de ces confidences, on se rend bien compte que l’artiste a mené une vie de bad boy dans les ghettos de la commune de Koumassi. Il nous vient alors à l’esprit, l’idée que le DJ n’a vraiment pas volé son tempérament actuel. Comme le dirait ses fanatiques, c’est un « Noussi » né (un bandit né), d’où les nombreux coups de gueule observés depuis le début de sa carrière. Après ce qu’il qualifie de dernier « coup », le jeune homme se ressaisit un peu et pense à nouveau à ses ambitions d’antan. Il rêvait d’être, comme la plus part des jeunes d’alors, un très grand chirurgien ou footballeur. La première ambition semblait être la plus éloignée puisqu’il ne voulait plus retourner sur les bancs de l’école. Par contre, il pouvait toujours devenir footballeur. Dans les années 2000 d’ailleurs, il jouera au football pendant deux ans au SIFA, un petit club de Koumassi. Il aurait même pu être aujourd’hui un footballeur professionnel si sa tentative de rejoindre Arsenal n’avait pas échoué. Malgré les coups de main de ses amis footballeurs dont Yaya Touré et Emmanuel Adebayor, il ne pourra pas signer à Arsenal à cause de son âge avancé. Debordeau Leekunfa n’aura donc plus d’autre choix que de se rabattre sur sa musique, la seule issue qui lui reste.

Le début de carrière de Tchokoroba

Bien avant de songer à faire sérieusement une carrière en football, Debordeau Leekunfa avait déjà commencé à pratiquer la musique. Grâce à ses vagabondages dans le monde de la nuit, Tanguy Sery avait fait connaissance des platines avec l’aide du logiciel Java DJ. En 2004, au plus fort des débuts du coupé décalé, il s’exerce au métier de DJ. C’est l’époque faste de la Jet Set, de Chris B ou encore de DJ Jeff. Grâce à son talent et à son travail acharné, il est très vite appelé à officier dans un célèbre maquis « La Cour des Grands » aux Mille Maquis à Marcory. Les Milles Maquis étaient un quartier festif, concurrent de la Rue Princesse de Yopougon. Le Marcory Gazoil faisait partie de cette chaîne de maquis qui sera détruite en 2011. En 2004, après quelques mois d’exercices, Debordeau rejoint la Rue Princesse de Yopougon où il est disc-joker et ambianceur au maquis « Shangaï ». Là-bas, il fait la rencontre d’Arafat DJ et Maréchal DJ, l’auteur du son à succès « Seka Seka » en 2005. Grâce à son poste au « Shangaï », le Tchokoroba tisse des liens utiles et se fait un nom dans le milieu de la nuit. C’est ainsi qu’il sympathise avec Arafat DJ qui sera plus tard son binôme avant d’être son plus grand rival. C’est à cette période que l’artiste abandonne tout pour se lancer à l’aventure, espérant secrètement percer dans le football. Mais Debordeau se fera escroquer par l’homme qui était chargé de faire son visa. Ce dernier emporte les cinq millions que Debordeau avait réunis grâce à son dur labeur en tant que DJ. Déçu par cette expérience, il décide de se consacrer entièrement à la musique, qui lui réussissait pas mal. Peu de temps après, il sort « Colgota » en featuring avec Mokobé du 113 et Nash du Gbonhi Yoyoyo. Le morceau ne connait pas de succès malgré les chances qu’il a mises de son côté en faisant appel à ces artistes connus. Cependant, ce premier essai lui permet de se faire par les professionnels du showbiz.

Le célèbre duo avec Arafat DJ

La carrière de Debordeau Leekunfa va décoller en 2008 grâce au duo qu’il forme avec Arafat DJ. C’est ce qui fera dire à ses détracteurs qu’il n’aurait jamais percé si Arafat n’était pas venu à son secours. Le « 8500 », lui, avait déjà une certaine notoriété avant de se mettre en « couple » avec Debordeau Leekunfa. Depuis son « Hommage à Jonathan » en 2004 alors qu’il avait 18 ans, il passait pour l’enfant terrible du coupé décalé. De 2008 à 2009, les deux artistes feront danser toute l’Afrique avec une dizaine de tubes dont « Kpangor », « Kpangor Confirmation », « Lebede 1 et 2 » et « 25-25 Arachide ». Ces tubes, toujours accompagnés de concepts arrivent régulièrement en tête des classements africains. Ce tandem est tellement puissant qu’il entame des tournées dans tout le monde entier. Leurs tubes seront accompagnés de freestyles, des sortes de dédicaces aux personnalités et stars d’Afrique. Nous avons le « Spécial Stéphane Sessègnon et Marie Claude Sessègnon » ou encore le « Spécial Rigobert Song ». Malheureusement, alors qu’ils sont en tournée aux Etats Unis, la fratrie décide de se séparer. Debordeau Leekunfa accuse Arafat de l’exploiter pour sa gloire personnelle. Quant à Arafat, il traite Debordeau d’ingrat car, selon lui, il l’aurait enlevé de sa misère exécrable : « Je t’ai nettoyé, je t’ai fabriqué. Aujourd’hui tu gâtes mon nom. » affirme-t-il dans son morceau Boudda. Il se racontera dans le milieu que la séparation est due à un problème de leadership plutôt que d’argent. Dès lors, la guerre est déclarée et les deux DJ s’adonnent à un concours d’invectives. Le meilleur sera celui qui insultera le mieux son camarade. En décembre 2009, ils se réconcilient et donnent un concert gratuit au Monde Arabe à la Rue Princesse pour se faire pardonner du public. Dans le même mois, Debordeau Leekunfa avait sorti son célèbre morceau « American Soldier » qui explosera tous les compteurs. Malheureusement la réconciliation sera de courte durée car en janvier 2011, la rivalité reprend de plus bel. Arafat ironise à propose du tube « American Soldier » en déclarant : « On est fatigué d’écouter ton seul morceau trévéli trévélou. » (En référence au refrain de « American Soldier »).

La carrière solo de Debordeau

Suite à leur dispute, Debordeau se sépare définitivement d’Arafat DJ en 2011. A partir de cette date il lance sa carrière solo, qui sera bien inspirée quoi que moins prolifique que celle son ancien compère Arafat DJ. En 2010, il avait sorti un morceau vérité appelé « Opa la Nation ». Ensuite suivront les singles « Rien que la vérité » et « Vive la Nation » en 2011, « Célébration » en 2012, « Persévérance », « Pardonne-moi » et « Massada Coco » en 2013, «Apéritif Yamoukidi » en 2014, « Shake your body » et « N’Enfant gateh » en 2015, « Gnangan Gnangan Style » en 2016, « Pikimin » et « Robot Macador » en 2017. La plus part de ses morceaux récoltent un large succès si bien que Debordeau est considéré comme quelqu’un qui fait toujours mouche quand il sort un single. Côté collaboration, Debordeau Leekunfa peut se targuer d’être régulièrement sollicité par ses pairs. Parmi ses featurings nous avons « A quelle heure » avec Abobolais DJ, DJ Lewis, Ronaldo R9 et DJ Mix 1er en 2010, « La main de Dieu » avec Eric Olomidé en 2011, « Hommage à Djakiss » avec DJ Mix en 2012. Bien entendu la liste est exhaustive puisque l’on pourrait aussi bien citer « On s’éclate » en featuring avec Bebi Philip et « Egoïsme » avec Bamba Amy Sarah et S. Kelly. Debordeau Leekunfa accumulent les pseudos : Opa la Nation, Maîtré-Maîtré ou encore le Wiz Agara. Fort de ses succès il peut se permettre de se donner ce genre de nom sans prendre le risque de se faire rabroué par les adversaires. Il a prouvé à tous ceux qui pensaient qu’il n’était rien sans Arafat, qu’il pouvait être le même virtuose en carrière solo. Du coup il serait difficile de prouver qui d’entre lui et Arafat a vraiment permis à l’autre d’être propulsé sur la scène musicale nationale. Il serait d’ailleurs inutile et insensé de se prêter à un tel sondage.

Les couacs et les critiques

Le Wiz Agara a mis tout le monde d’accord sur la qualité de son timbre vocal. Dans le milieu du coupé décalé, seul un artiste comme DJ Mix peut se permettre de faire mieux. Pourtant, Debordeau Leekunfa laisse souvent paraître l’image d’un chanteur peu inspiré. Bien qu’il produise régulièrement des singles, on lui reproche de ne pas être aussi prolifique que des artistes comme Arafat DJ ou Serge Beynaud. Quand l’on en vient à découvrir qu’il a pompé (volé) le concept d’autrui, le reproche devient encore plus pressant. De fait, son titre « Pikimin » serait une reprise du morceau d’un artiste congolais appelé Brigadier Sabari. Dans une vidéo datant de 2008, on voit en effet l’artiste faire un freestyle dont l’intonation ressemble étrangement aux airs de « Pikimin ». Coïncidence étrange ou preuve d’un plagiat éhonté ? L’artiste précisera qu’il avait eu l’autorisation du Congolais avec qui il devait reprendre le morceau. Les détracteurs de Debordeau, principalement les partisans d’Arafat, ont commencé à dire qu’il était en mal d’inspiration au point d’aller chiper la chanson d’autrui. Quand le clip sort quelques semaines plus tard, il est censuré sur Youtube et boycotté sur certaines chaînes pour atteinte aux mœurs. Ses partisans ne comprennent pas pourquoi « Pikimin » avait été censuré alors que d’autres clips plus licencieux passaient librement sur les plateformes fermées à leur star. Aussi, en octobre 2017, le Wiz Agara se fera négativement remarqué à l’occasion de la 2e édition des Awards du Coupé décalé. Mécontent de n’avoir pas décroché l’ultime prix, le Meilleur artiste coupé décalé de l’année, il se rend sur le pont Félix Houphouët Boigny et brise son trophée de Meilleur concept de l’année puis le jette dans la lagune Ebrié. Il s’attaque ensuite au fondateur des Awards, son aîné Molare DJ, qu’il accuse de favoritisme. Le public, ahuri par son comportement le désapprouvera pendant des semaines sur les réseaux sociaux.

Ses altercations avec les autres artistes

Le plus gros des conflits de Debordeau Leekunfa est en rapport avec Arafat DJ, son rival de tous les temps. De l’amour à la haine, pourrait-on intitulé la relation entre les deux artistes. Leurs prises de bec ne se comptent plus tant elles sont nombreuses depuis la fin des années 2000. Après l’épisode de la guerre des égos au sein du duo, vint la défense des joueurs. En 2015, Arafat s’est attaqué au footballeur international Yaya Touré à cause de son problème de leadership avec Didier Drogba au sein de l’équipe nationale.

« Je n’aimerais pas que n’importe qui et n’importe quoi se permette de te parler d’une manière vraiment bizarre »

chante-t-il à l’introduction d’un morceau dédié à l’artiste. Dans le continuum du conflit, Debordeau Leekunfa sort en 2015 « Apéritif Yamoukidi » dans lequel il prononce la célèbre phrase « Les vieilles personnes quittez ». A un moment du morceau, il répète la phrase après avoir cité le nom de Didier Drogba. A l’époque l’on parlait de la vieille et de nouvelle génération des Eléphants de Côte d’Ivoire. Accusé de s’être attaqué à la légende de Chelsea, il s’affichera quelques temps après avec ce dernier pour dire que le morceau ne le visait pas. Un an plus tard pourtant, Arafat viendra en aide à Debordeau Leekunfa en offrant un million à ce dernier, après son accident, lequel accident a emporté ses danseurs et son manager. Debordeau prendre aussi la défense d’Arafat lorsque ce dernier connaitra un fiasco au Bataclan en décembre 2017 (le fameux « Taper poteau »). Il s’est attaqué à ceux qui se disaient ses amis, mais qui ne l’ont pas soutenu lors de ce concert. Il s’agit par exemple de Booba le rappeur français et de Sidiki Diabaté, l’artiste malien à succès. Quelques mois plutôt, une sombre affaire avait opposé Maîtré-Maîtré et le Berus Sama. Le dernier cité a accusé le premier d’avoir voulu tirer sur lui à l’aide de son arme à feu. Debordeau accusera aussi Arafat d’avoir voulu attenter à sa vie lors de cette soirée dans un bar de Cocody. L’on ne saura jamais qui a dit la vérité. Néanmoins, l’affaire était arrivée en justice. Finalement aucun d’entre d’eux n’a été incarcéré par la suite. L’on justifierait cela par le fait qu’ils soient tous les deux, des protégés d’Ahmed Bakayoko, le Ministre de l’Intérieur de la République de Côte d’Ivoire.

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