Très vite, une première constitution avait été élaborée sous l’impulsion du premier président de la République. Cette constitution a été abrogée en 2000 par les soins du Général Robert Guei, chef de la junte militaire alors au pouvoir.
C’était la naissance de la 2e République qui sera secouée par une crise militaro-politique. Cette crise est relative à des frustrations nées de certains points de la constitution alors en vigueur. L’un des points les plus conflictuels était l’éligibilité à la présidence liée à la question du « ET ». Tout Ivoirien qui n’était pas né de père ET de mère tous deux Ivoiriens ne pouvait pas se présenter à la présidence. Alassane Ouattara, l’actuel président de la République, avait fait les frais de cette loi dite d’exclusion. C’est cette discrimination qui a fondé la rébellion de 2002, avait-on entendu dire les responsables de celle-ci. C’est donc, en grande partie, pour mettre fin à cette crise identitaire qu’une nouvelle constitution avait été adoptée le 30 octobre 2016. Malheureusement beaucoup d’Ivoiriens, et même ceux qui ont voté, ne savent pas grande chose de ce que dit cette constitution. C’est pourquoi nous dressons sept points pour vous aider à saisir la quintessence de la loi fondamentale ivoirienne.
De l’Ivoirité et de la présidence
L’Ivoirité, depuis son introduction dans la vie politique ivoirienne, n’a eu de cesse de susciter des tensions parmi les ivoiriens. Le président Henri Konan Bédié croyait bien faire en inventant cette notion, mais mal lui en pris. Peut-être trop exagérée ou mal interprétée, l’Ivoirité a conduit à de regrettables conflits socio-politiques. De fait, la première constitution ivoirienne avait établi que seule une personne née de père et de mère tous deux ivoiriens pouvait se présenter à l’élection présidentielle. La 2e constitution avait entériné cette disposition antérieure, ce qui a fâché les partisans d’Alassane Ouattara, qu’on soupçonnait de n’être pas ivoirien ou de l’être en partie. C’est donc tout naturellement que la conjonction de coordination ET, responsable de tous les malheurs du pays, a été retirée de la constitution de 2016. Dans son article 55, la nouvelle constitution stipule : « Le candidat à l’élection présidentielle doit jouir de ses droits civils et politiques et doit être âgé de trente-cinq ans au moins. Il doit être exclusivement de nationalité ivoirienne, né de père OU de mère ivoirien d’origine ». Toutefois le terme « exclusivement » poserait un autre problème, celui des binationaux. Les analystes constitutionnels pensent donc que le litige n’est pas encore totalement vidé.
L’invention de la vice-présidence
La nouvelle constitution ivoirienne a introduit la fonction de vice-président, occupée en ce moment par Daniel Kablan Duncan. En cas de vacances du pouvoir, décès ou empêchement d’exercer du Chef de l’Etat, c’est le vice-président qui assure l’intérim. Auparavant, ce privilège revenait au président de l’Assemblée nationale. Dans l’article 62 il est écrit : « En cas de vacance de la Présidence de la République par décès, démission ou empêchement absolu du Président de la République, le vice-Président de la République devient, de plein droit, Président de la République. Avant son entrée en fonction, il prête serment devant le Conseil constitutionnel, réuni en audience solennelle ». Plus loin, dans l’article 79, l’on peut lire : « Le vice-Président de la République supplée le Président de la République lorsque celui-ci est hors du territoire national. Dans ce cas, le Président de la République peut, par décret, lui déléguer la présidence du Conseil des ministres, sur un ordre du jour précis ». Cette disposition nouvelle est sans doute le résultat d’un mauvais souvenir. Le Président Alassane Ouattara, après la mort d’Houphouët Boigny, avait été lésé de la succession au profit d’Henri Konan Bédié, alors président de l’Assemblée nationale. Pourtant, il croyait que cette charge lui revenait, fort du travail qu’il avait abattu en l’absence d’Houphouët Boigny, hospitalisé en France. D’autres observateurs pensent plutôt que cette fonction vise à tempérer les ardeurs de Guillaume Soro, actuel président de l’Assemblée nationale, à qui obéit une bonne partie des anciennes forces nouvelles. La prudence est mère de sureté, a dit l’adage.
L’introduction du Sénat
La création du Sénat est l’un des grandes innovations de cette nouvelle constitution. Le Sénat constituera la 2e chambre du Parlement ivoirien après l’assemblée nationale. Deux tiers de ces sénateurs sont élus par de grands électeurs, l’autre tiers nominés par le Chef de l’Etat. Précisément, il se chargera de nommer 33 sénateurs, ce qui fera au total 99 locataires au Sénat. Le samedi 24 mars, les 2/3 ont été élus par 7010 grands électeurs parmi lesquels les conseillers municipaux. En attendant la nomination du tiers restant, la coalition au pouvoir a récolté 50 sièges sur les 66 disposés par la Commission Electorale. L’opposition, qui n’a pas participé à ces élections, juge le sénat caduc et inutilement budgétivore. Pour les Ivoiriens qui ignorent tout du rôle des sénateurs, voici ce que dit l’article 87 de la constitution ivoirienne : « Le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales et des Ivoiriens établis hors de Côte d’Ivoire ». Dès lors la Côte d’Ivoire passe du système parlementaire à un système bicaméral comme aux Etats Unis.
Création d’une chambre des rois
La Côte d’Ivoire se compose de plusieurs groupes ethniques dont les modes de gestion diffèrent. Toutefois, et c’est une constante, il y a soit des rois soit des chefs traditionnels, souvent appelés chefs du village. Ces derniers ne siègeront pas tous à la chambre des rois et chefs traditionnels pour une raison évidente. Ils éliront quelques-uns d’entre eux pour les représenter dans cette chambre. Cette institution traditionnelle dispose : « de la valorisation des us et coutumes, de la promotion des idéaux de paix, de développement et de cohésion sociale, du règlement non juridictionnel des conflits dans les villages et entre les communautés ». Les chefs traditionnels se voient donc recevoir plus de considérations par les autorités nationales. Même si auparavant, et notamment sous le président Houphouët et Laurent Gbagbo, ils jouissaient d’un certain pouvoir, aujourd’hui ce pouvoir est inscrit dans la constitution nationale. Le Président Alassane Ouattara a assuré qu’il voulait donner aux chefs traditionnels toute la crédibilité dont ils ont besoin. Quand on sait le poids des alliances interethniques et le respect dû aux anciens et chefs coutumiers, cette chambre va soulager le pouvoir central, notamment dans les conflits ethniques ou religieux.
Les élections à une date fixe
Même si les dernières élections ivoiriennes se sont tenues à peu près à la même période d’octobre et novembre, la constitution n’avait pas encore établi une date fixe. Les dates précédentes étaient données de façon arbitraire selon le contexte et les soucis techniques au niveau de la Commission Electorale. La nouvelle constitution qui ouvre sur la 3e République, a fixé les dates des élections notamment la présidentielle. Comme avec le sénat, la Côte d’Ivoire marche dans les pays des Etats Unis avec une date fixée d’avance par la loi fondamentale. Celle-ci dit : « Le premier tour du scrutin a lieu le dernier samedi du mois d’octobre de la cinquième année du mandat du Président de la République et du vice-Président de la République en fonction ». Au cas où la majorité absolue n’est pas obtenue au premier tour, « Le second tour a lieu le dernier samedi du mois de novembre de la cinquième année du mandat du Président de la République et du vice-Président de la République en fonction ». Cette fixation vise à empêcher toute tentative de se maintenir au pouvoir, une manœuvre dans laquelle les Chefs d’Etat africains sont passés maîtres.
De la question des révisions constitutionnelles
Les révisions constitutionnelles sont introduites uniquement par le Président de la République ou les membres du Parlement. Lorsque la proposition échoit aux deux chambres, celles-ci sont chargées d’organiser un vote en leur sein. Pour que la proposition soit prise en compte il faut qu’elle soit votée à la majorité absolue. Ensuite, la révision n’est définitivement adoptée que lorsqu’elle est approuvée par un référendum à la majorité absolue des suffrages exprimés. Le Chef d’Etat peut aussi directement saisir le parlement pour régler le problème sans recourir au peuple. Toutefois toutes les questions ne peuvent être soumises à une révision constitutionnelle. L’article 178 introduit l’exception en ces termes : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. La forme républicaine du Gouvernement et la laïcité de l’Etat ne peuvent faire l’objet d’une révision ».
De la négociation et de la ratification des traités
Ce chapitre concerne les relations de la République de Côte d’Ivoire avec la communauté internationale. Il a trait aux accords dans le domaine du commerce, de l’intégration et même de la justice. L’article 119 stipule que « Le Président de la République négocie et ratifie les traités et les accords internationaux ». Le Chef de l’Etat doit être tenu au courant de toutes les négociations qui ont trait aux accords internationaux. Lorsque l’Etat de Côte d’Ivoire juge qu’un accord ou un traité est contraire à la Constitution elle peut se garder le droit de le ratifier seulement après une révision de la Constitution. Concernant le partenariat de l’Etat de Côte d’Ivoire avec la Cour Pénale Internationale, la nouvelle constitution n’est pas plus explicite que la précédente. Elle se contente de dire, en son article 121, que « La République peut reconnaître la juridiction de la Cour Pénale Internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 17 juillet 1998 ». Toute la nuance réside dans le terme PEUT quoique les conditions soient établies.